CONTEXTE HISTORIQUE
La domination islamique dans le sous-continent indien
Au VIIIe siècle de notre ère, à l’époque de la première dynastie caliphale des Ommeyades, les armées musulmanes réalisent d’importantes conquêtes dans la vallée de l’Indus, établissant des protectorats qui se constituent ensuite en principautés. Plusieurs de ces sites ont livré des pièces remarquables, qui synthétisent les idées artistiques islamiques et indiennes, montrant la créativité des artistes indiens capables d’adapter les influences les plus diverses pour créer de nouveaux styles. Au cours du premier tiers du XIe siècle, Mahmud de Ghazna (en Afghanistan) conquiert de larges territoires tout en poursuivant ses incursions annuelles en direction du sud-est. A la fin du XIe siècle et durant le XIIe siècle, la création d’une capitale très cultivée à Lahore contribue au développement général et durable du pouvoir et de la culture islamiques dans le sous-continent. Les Ghurides succèdent aux Ghaznévides en Afghanistan et au Penjab, et, à la fin du XIIe - début du XIIIe siècle, établissent une domination musulmane unifiée sur la quasi totalité de l’Inde du Nord, Delhi inclus. Dès lors, une série de dynasties musulmanes règne sur le Sultanat de Delhi, chacune agrandissant généralement le territoire. Dans le Deccan, le Sultanat bahmanide (indépendant depuis le milieu du XIVe siècle) s’étend progressivement, jusqu’à couvrir, de la côte est à la côte ouest, le centre et le sud de l’Inde. Les royaumes qui lui succèdent (les Barid Shahis, les Adil Shahis, les Nizam Shahis, les Imad Shahis et les Qutb Shahis) sont contemporains des débuts de l’Empire moghol, fondé en 1526 lorsque Babur conquit Delhi.
LES EMPEREURS MOGHOLS
Babur (1526-1530)
Babur, l’un des nombreux princes à prétendre au contrôle du coeur des territoires de son arrière grand-père Timur, a pénétré plusieurs fois dans la capitale, Samarcande, mais n’a pas pu s’y maintenir. Il finit par tourner ses regards vers le sud et l’est, où il rencontre plus de succès. En 1526, 1527 et 1529, il bat successivement les armées des Lodi, souverains de Delhi, une coalition de chefs Rajput et d’Afghans de l’est de l’Inde. C’est ainsi que commence ce qui deviendra l’empire des Grands Moghols. La victoire de Dehli apporte d’immenses richesses et il importe de noter ici que le butin distribué par Babur comme marques d’estime inclus des objets de joaillerie telles des dagues, des épées et des ceintures. A l’image d’autres princes timurides, Babur s’intéresse profondément aux arts et aux sciences, et bien qu’il passe l’essentiel de sa vie en campagne, il laisse une œuvre d’une grande qualité littéraire. Egalement poète, Babur écrit principalement dans sa langue maternelle, le turc tchagatay, même s’il maîtrise le persan. Sa célèbre et vivante autobiographie, le Babur nama, raconte ses activités politiques et militaires ainsi que celles de la cour, mais décrit et analyse également les personnes, animaux, plantes, fruits, qui l’ont impressionné.
Humayun (1530-1540 puis 1555-1556)
Humayun a joué un rôle de premier plan dans les campagnes militaires de son père, qui ont conduit à la fondation de l’empire. En lui succédant, il poursuit pendant quelques années l’expansion territoriale et la consolidation du pouvoir moghol. Mais à partir de 1540, le contrôle de l’Hindoustan passe dans les mains du commandant afghan Sher Khan (Sher Shah Suri), après une série de revers au cours desquelles ses frères ont activement contribué à l’ébranler. Humayun se voit forcé de battre en retraite d’abord au Sind, puis en Afghanistan, et finalement d’accepter le statut d’exilé et de client du souverain d’Iran, Shah Tahmasp. Après un an en Iran, Humayun, aidé par les troupes persanes, entame un long combat pour reprendre son trône, une fois de plus entravé par ses frères, en particulier le prince Kamran. Au milieu de l’été 1555, il bat de manière décisive les forces de Sikander Shah Suri et reprend le trône de Delhi. Il meurt quelques mois plus tard des suites d’une chute dans l’escalier de sa bibliothèque. Humayun est un prince cultivé et son activité de mécène a contribué de façon importante à la formation de la 'synthèse' moghole en art, notamment parce qu’il attire à sa cour les grands peintres iraniens rencontrés lors de son exil. Il va sans dire que les arts de la joaillerie ont continué d’être activement développés sous son règne, comme cela a toujours été le cas en Inde et dans d’autres cours islamiques. Humayun est également connu pour son mécénat dans les domaines des mathématiques et de l’astronomie, poursuivant des traditions de la lignée des Timurides et, plus généralement, des princes islamiques.
Akbar (1556-1605)
Akbar est l’homme qu’il fallait à son temps et le véritable architecte de l’Empire moghol. Il a tout juste treize ans lorsque il accède au trône de cet empire naissant. Il mène, tout au long de son règne, une politique agressive d’expansion territoriale et de réformes administratives. A sa mort, l’empire est vaste et sécurisé, intégrant tout le sous-continent indien et l’est de l’Afghanistan, à l’exclusion des quatre sultanats restants du Deccan, l’extrême sud et une partie d’Orissa.
Le dynamisme physique d’Akbar égale ses capacités intellectuelles, son pragmatisme et son vif intérêt pour tous les domaines, y compris artistiques. Il est dans une large mesure personnellement responsable de la transformation des arts dans l’Empire moghol. La richesse de son Etat est telle qu’il n’y a pas de limite pratique à son ambitieux et perspicace mécénat et, étant donné les incalculables profondeurs de la tradition artistique en Inde, les conditions sont réunies pour les remarquables réalisations qui vont suivre. Une quantité d’informations considérable sur les établissements artistiques royaux à l’époque d’Akbar a été consignée par son ministre Abul Fazl Allami, notamment leur division en une vingtaine de départements, eux-mêmes subdivisés pour les disciplines variées des arts de la joaillerie. Ce système sera poursuivi, comme l’organisation administrative générale de l’Etat, par ses successeurs.
Jahangir (1605-1627)
Le règne de Jahangir est caractérisé par une stabilité et une paix relatives, malgré les inévitables intrigues et rebellions, incluant celle de son fils et successeur, Shah Jahan, qui fait écho à la propre rébellion de Jahangir à la fin du règne d’Akbar, son père. Durant la majeure partie de son règne, sa talentueuse et ambitieuse femme, Nur Jahan, exerce une grande influence sur les affaires de l’Etat. Perpétuant la tradition de mécénat de la famille, Jahangir préside à une phase particulièrement riche du développement artistique de l’Inde, durant laquelle les synthèses les plus abouties et les plus parfaites de l’art indien sont produites. Ses Mémoires sont une source inhabituellement riche d’informations sur les arts de la joaillerie et sa profonde appréciation de l’art en général, tout comme sur l’extrême diversité de ses centres d’intérêt, les curiosités et événements de son temps.
Shah Jahan (1628-1657)
Shah Jahan poursuit la politique de tolérance, sage administration, paix et prospérité générales de ses deux prédécesseurs immédiats, même si apparaissent quelques signes de l’influence croissante des partis musulmans. Il s’engage pleinement dans la conduite des affaires de l’empire et agrandi encore le territoire par des conquêtes dans le Deccan, notamment l’annexion d’Ahmadnagar et l’imposition d’un tribut annuel à la dynastie des Qutb Shahis de Golconde/Hyderabad, qui peuvent être vues comme la suite de ses campagnes dans le Deccan lorsqu’il était encore prince. Il passe les huit dernières années de sa vie en détention dans un palais, suite à une maladie qui sème la dispute entre ses quatre fils, conduisant l’un d’entre eux, Aurangzeb, à s’emparer du trône. Shah Jahan est le légendaire bâtisseur du Taj Mahal, mausolée monumental élevé pour son épouse bien-aimée, Mumtaz Mahal, et célébré dans le monde entier. Il a été activement impliqué dans l’élaboration de ce chef-d’œuvre, ainsi que dans celle d’autres projets architecturaux. Et bien sûr, comme ses aïeux, il est un mécène averti pour tous les arts. En effet, son père Jahangir et d’autres sources, comme les voyageurs européens, rapportent qu’il pratique lui-même la joaillerie et qu’il est reconnu comme un grand expert en matière de gemmes.
Aurangzeb (1658-1707)
Aurangzeb passe l’essentiel de sa vie en campagnes militaires, depuis les guerres de succession contre ses frères à l’annexion des sultanats de Bijapur et de Golconde/Hyderabad, en passant par les combats contre différentes rébellions dangereuses, telle celle des Marathes dans le Deccan. Son manque évident de prudence mène, entre autres choses, au rétablissement de la jizya (impôt frappant les non-musulmans et particulièrement les Hindous), à l’épuisement du trésor du fait de guerres largement stériles, de sa feinte ignorance quant à la corruption et l’inconduite de ses officiers supérieurs. Sa mort marque la fin véritable de l’empire des Grands Moghols, les empereurs qui lui succèdent présidant à l’affaiblissement et à la réduction du pouvoir central au profit des gouverneurs régionaux. L’époque d’Aurangzeb est reconnue comme un moment de déclin artistique, en parallèle de la situation politique. Un passage en revue de toutes les disciplines artistiques montre une perte marquée d’inventivité, de qualité et de grandeur ; une situation certainement attribuable au manque général d’intérêt de ce souverain pour le mécénat artistique, lui-même dû à son orthodoxie religieuse. Même en ce qui concerne les arts de la joaillerie, on peut observer un amoindrissement de l’effervescence artistique et de l’innovation. Cependant, l’ancienne et ininterrompue pratique du mécénat auprès des joailliers se poursuit, comme un membre indépendant de la tradition, des types tribaux et villageois jusqu’à certains centres (comme Hyderabad et Lucknow), où les styles généralement reconnus comme 'moghols' jouissent du mécénat royal jusqu’au XIXe siècle.
Le déclin des Moghols
De 1707 à 1858, dix neuf souverains moghols se succèdent sur le trône, dont quatre pour la seule année 1719. Le plus long de ces règnes est celui de Muhammad Shah (1719-1748), durant lequel Delhi, et le trésor impérial, est mise à sac par les troupes du souverain iranien, Nadir Shah, en 1739 – événement symptomatique de l’état de déclin de l’Empire moghol. Cet 'empire' continue cependant de jouir de certains privilèges de suzeraineté de nom, comme d’accorder les documents de légitimité aux différents gouverneurs régionaux, jusqu’à son extinction officielle en 1857-58.
LES SULTANATS DU DECCAN
Depuis le milieu du XIVe siècle environ, le Sultanat bahmanide gouverne la quasi-totalité du Deccan (Inde du centre sud), indépendamment du Sultanat de Delhi au nord. Mais à la fin du XVe siècle, il éclate en cinq grands royaumes : les Imad Shahis de Berar ; les Barid Shahis de Bidar ; les Adil Shahis de Bijapur ; les Nizam Shahis d’Ahmadnagar et les Qutb Shahis de Golconde/Hyderabad. Les fondateurs de ces dynasties sont tous des officiers supérieurs ou des ministres au service des Bahmanides, ayant l’un après l’autre déclaré leur indépendance vis-à-vis de l’Etat bahmanide en voie de désagrégation. Bien que moins célèbres que les Moghols du nord de l’Inde, beaucoup de ces sultans sont connus pour être des souverains très cultivés et de généreux mécènes des arts. Il est intéressant de noter que du fait de leur position géographique, plusieurs de ces royaumes sont mieux placés, au XVIe siècle, pour bénéficier des apports technologiques, culturels et artistiques venus d’Europe. Par ailleurs, l’étendue et l’importance de ces cours dans l’assimilation des nouvelles techniques et des styles artistiques, qui ont tellement stimulé les développements indiens à cette époque, sont encore loin d’être bien comprises. L’exposition a permis d’attribuer au Deccan de nombreux objets, précédemment qualifiés 'moghol'. Le temps aidant et les recherches se poursuivant, une certitude et une précision croissantes en la matière devrait être possible.
Cette exposition est organisée par La Collection al-Sabah, Musée national du Koweit, en collaboration avec le musée du Louvre. Elle est rendue possible grâce au mécénat de Kuwait Finance House, Mobile Telecommunications, Al-Wataniya et Kuwait Investment Co.. |